Le haïku authentique est un poème certes court, deux temps, trois mouvements, mais surtout profond. Poignée de mots esquissant, effleurant la surface des choses, il donne à sentir, à sonder l’indicible profondeur, à goûter la subtile saveur de l’expérience humaine, saisie dans l’éternité de l’instant présent. Un impromptu improvisé dans l’instant, minimaliste dans la forme et maximaliste dans le fond, dans l’impression.
fâché je rentre
le saule
dans le jardin
ne possédant rien
le cœur en paix
fraîcheur!
Le haïku est l’expression de cet état de fraîcheur, de disponibilité, d’ouverture, de lucidité, de clairvoyance. Il traduit, sans l’expliciter mais seulement en la suggérant, l’expérience de recul philosophique, poétique si l’on préfère, sur le monde, quand tout devient simple, lumineux, merveilleusement évident. Quand on perçoit, bien plus que le sens, l’harmonie des choses, leur impeccable coïncidence.
pour faire du feu
le vent m’apporte
assez de feuilles mortes
Miroir, le haïku demande au lecteur d’aller puiser dans sa propre expérience, son propre réservoir d’images et de sensations, sa propre mémoire de ces moments, rares et fugitifs, de grâce où l’on est miraculeusement accordé au monde.
longue est la nuit
le bruit de l’eau
dit ce que je pense
Un haïku se lit un peu comme on contemple un tableau, sur le même tempo. Le poète est peintre, mais un peintre qui sur sa palette disposerait, outre les couleurs, de sons, d’odeurs et de saveurs philosophiques. Le haïku, en reflétant un événement du domaine des sens, nous donne accès, d’emblée, au sens. Il saisit le merveilleux au cœur de l’ordinaire, l’absolu au cœur du relatif, le sacré au cœur du profane. Il met en évidence un détail, un échantillon du monde, qui résume le tout, signifie le tout, donne au tout sa profondeur. Un vers unique décrit l’univers et nous ouvre à l’éternité de l’instant présent.
le papillon disparu
mon âme
me revient
Pour conférer au haïku sa profondeur d’âme, l’élément humain est quasi indispensable, parfois au premier plan, plus souvent à peine suggéré, son absence pouvant, exceptionnellement, induire son incroyable présence.