Comment écrire un haïku?

Conseils des grands maîtres japonais du haïku

Pour Bashô 芭蕉 (1644-1694), unanimement reconnu comme le maître du haïku, père spirituel et génie créateur, « il nous faut certes élever notre esprit dans le domaine de la vraie compréhension, mais de là ne pas manquer de retourner à l’expérience immédiate pour y puiser la vérité de la réalité. Quoi que nous soyons en train de faire à un moment donné, nous ne devons pas perdre de vue que ce que nous faisons est en corrélation avec notre nature profonde, avec le monde. C’est là que réside la poésie ».

le vieil étang

du plongeon d’une grenouille

le bruit dans l’eau

C’est en composant ce poème, par lequel historiquement le genre haïku parvient à sa maturité et à son apogée poétique, que Bashô réalise qu’il vient de formuler de façon fulgurante ce qu’il cherchait confusément à exprimer : l’interpénétration de l’éternel et de l’éphémère. Il vient de trouver l’attitude poétique juste. Une grenouille plonge et le génie poétique de Bashô éclabousse le vieil étang de notre mémoire.

Avec Bashô le haïku devient, plus qu’un art, une voie spirituelle, un art de vivre en accord avec le monde.

Buson 蕪村 (1716-1783), considéré comme le successeur de Bashô dans la voie du haïku, écrit que « l’essence du haïku est d’utiliser l’ordinaire en s’en libérant, en le transcendant. Le zen et le haïku se rejoignent dans la manière de se libérer de l’ordinaire en le transcendant ».

quelqu’un rend visite

à quelqu’un

crépuscule d’automne

Pour Issa 一茶 (1763-1827), troisième grand maître de la lignée poétique du haïku, « la voie du haïku est la même que celle du Bouddha ou de Confucius. Mais ceux qui oublient le véritable sens de cette voie et qui en vain n’en retiennent que la forme en sont les profanateurs. Si l’on retourne à l’esprit véritable en se consacrant entièrement à cet art, alors fleurs, papillons, vent et lune restent bien sûr des thèmes, mais tout ce qui passe devant nos yeux ou est ressenti dans notre cœur est aussi matière à haïku. »

me rendant sur les tombes

le vieux chien

va devant

Shiki 子規 (1866-1902), quatrième grand maître du haïku, écrit: « lorsqu’on est témoin d’une scène ou d’un événement que l’on estime intéressant de traduire en mots, si l’on veut que le lecteur ressente le même intérêt il importe de ne recourir à aucune ornementation verbale, à aucune exagération, mais de simplement décrire la chose telle qu’on la voit. » « Décrire ce qui est » (ari no mama ni utsusu) est au cœur de sa démarche poétique.

une barque devise

avec la rive

longue journée

Plus près de nous encore, Santoka 山頭火 (1882-1940), moine zen et grand pèlerin poétique, prône l’abandon dans la composition du haïku du rythme de 5-7-5 syllabes, jusque-là généralement en cours, et du recours obligatoire à un mot indiquant la saison, et préconise une forme complètement libre. Seule importe pour lui la juste traduction de l’expérience poétique, en dehors de toute règle. “Pure expérience”, telle est sa conception de la poésie. «Tout ce qui n’est pas réellement présent dans le cœur ne relève pas du haïku.» «La sagesse est de voir le nouveau dans l’ordinaire, en s’accommodant du monde tel qu’il est. Il est des trésors cachés dans l’instant présent.»

cassant

des branches mortes

ne pensant à rien

Comment composer un haïku en français

Pour ce qui est de composer un haïku en français, le mieux est d’emboîter les pas de Santoka: aucune règle à suivre, juste décrire l’expérience. A la base de tout authentique haïku il y a une expérience: celle d’accord et de connivence avec le cours des choses. On ne décide pas de composer un haïku, c’est le haïku, plus précisément l’expérience au cœur du haïku, qui se présente spontanément. Il s’agit alors simplement de trouver les mots qui décrivent le mieux cette expérience, qui épousent la réalité des choses, et ce dans une grande clarté d’expression, indispensable pour que le lecteur puisse partager d’emblée cette expérience.

Nous avons choisi une disposition en 3 lignes (non obligatoire), parce qu’il semble, au-delà de préoccupations esthétiques, que l’exposition en 3 éléments, un peu comme la 3e dimension en peinture, est gage de perspective et de profondeur.

Pour finir revenons à Bashô, qui disait que la seule méthode authentique pour apprendre à composer des haïkus était de lire l’œuvre des grands maîtres. Dont acte. Chacun, lorsqu’il a étoffé sa propre expérience, est alors à même de trouver son propre style, sa propre veine.

toute la journée

sans un mot

le bruit des vagues