De la contemplation poétique du monde
Les éditions Moundarren ont été créées en 1984, de façon inintentionnelle, à l’initiative de CHENG Wing fun et de Hervé COLLET pour publier leur traduction de l’oeuvre des grands poètes chinois classiques et des grands maîtres japonais du haïku. Moundarren est le nom d’une montagne du Béarn, en quelque sorte berceau de la maison d’édition éponyme, un peu comme les maîtres zen chinois prenaient pour nom celui de la montagne ou ils s’étaient établis. Contempler poétiquement le monde, telle est la raison d’être, si tant est qu’il y en ait une, de Moundarren. Le mot poésie 詩 en chinois est étymologiquement parole 言 du temple 寺. Le temple c’est-à-dire l’endroit sacré d’où l’on contemple le monde.
ma maison
est au pied
de la montagne du Sud
un endroit simple
idéalement tranquille
d’où contempler le monde
La plupart des grands poètes chinois présentés étaient très influencés par la philosophie taoïste de Lao-Tzu (5e siècle av.) et de Chuang Tzu (4e siècle av.), qui en leur temps ont chanté les vertus du tao, c’est-à-dire de la Voie de l’accord au cours des choses, et par le bouddhisme ch’an (zen en japonais), la voie de l’illumination silencieuse, très florissant lors des dynasties T’ang et Song. Ils faisaient de fréquents séjours dans les montagnes sacrées, où étaient nichés ermitages, temples taoïstes et monastères zen, où ils venaient s’imprégner de leur atmosphère qu’ils se sont évertués à évoquer dans leurs poèmes.
composé dans l’ermitage d’un moine
les fleurs des palmiers jonchent la cour
la mousse pénètre dans la salle silencieuse
tous deux ensemble, transcendant concept et parole
dans l’air flotte un parfum extraordinaire
Quant aux grands maîtres du haïku, tous imprégnés de poésie chinoise (« Commencez par lire les poètes chinois » conseillait Bashô à ceux qui l’interrogeaient sur le haïku), la plupart étaient moines zen ou disciples laïcs. Le haïku est par excellence l’expression littéraire du zen, cette expérience éminemment libératrice au cours de laquelle on expérimente l’identité de notre nature profonde et de l’univers.
longue est la nuit
le bruit de l’eau
dit ce que je pense
La poésie est avant tout une expérience: celle de l’assentiment à ce qui est, au monde, quand tout devient simple, lumineux et profond. D’une évidence absolue. Le poème traduit, sans l’expliciter mais seulement en la suggérant, cette expérience poétique.